Le portefeuille

Suzanne était revenue toute excitée du collège. En chemin, elle avait trouvé sur le trottoir un portefeuille, puis fait le tour des boutiques environnantes en quête de son propriétaire. Sans succès. Mais cette aventure avait eu la saveur d’une chasse au trésor.

Après l’avoir écoutée, je lui demandai :

— Il est où maintenant ce portefeuille ?

— Je l’ai posé sur une poubelle.

— Sur une poubelle ?

Elle repartit vite fait le récupérer avant qu’il ne disparaisse pour de bon.

C’était une pochette noire plutôt large en cuir synthétique munie d’une fermeture éclair. Je l’ouvris et étalai sur la table son maigre contenu. Il y avait trois cartes en plastique rigide qui ressemblaient fort à des documents officiels, sans que je ne parvienne à identifier leur pays d’origine. Un même nom revenait, celui d’une femme : Mira S. Il y avait aussi le récépissé d’une lettre recommandée déchiré en deux. Sur l’un des morceaux, je trouvai l’adresse de Mira. Je m’installai devant mon ordinateur pour la vérifier dans les Pages blanches de l’annuaire. Chou blanc. Pas de Mira. Il m’en fallait davantage pour me décourager. Je lançai Google maps, puis la Street view. Après un plongeon rapide au cœur d’une zone industrielle, je me retrouvai face à un terrain vague. Je circulai dans la rue, vers l’avant, vers l’arrière, mais aucune habitation n’était visible sinon des entreprises. Cette adresse me laissa perplexe. Je pris l’autre partie du récépissé. Le destinataire de la lettre était un institut de langues étrangères à Lille. Je trouvai le numéro de téléphone sur internet et appelai. Une opératrice décrocha :

— Bonjour, j’ai trouvé un portefeuille dans la rue. D’après son contenu, il appartient à Mira S. Elle vous a envoyé une lettre. Connaissez-vous ce nom ?

— Ne quittez pas, je vais regarder dans notre base de données… Effectivement, nous avons bien une Mira S. sur nos listes.

— Avez-vous son numéro de téléphone ? Je vais vous donner le mien. Il faudrait lui laisser un message, lui dire de m’appeler, que j’ai retrouvé son portefeuille.

— C’est noté, vous pouvez compter sur moi.

Satisfaite, je raccrochai et posai le portefeuille sur une étagère.

Je l’oubliai.

Des mois s’écoulèrent avant que mes yeux ne retombent sur le portefeuille. Personne ne m’avait contactée. Je m’en étonnai, ces papiers semblaient importants. Je refis le numéro de l’institut et laissai le même message. Cette fois-ci, mon téléphone sonna peu après. C’était la voix d’un jeune garçon, le fils de Mira. On convainc d’un rendez-vous dès le lendemain, près de la gare du Nord.

Mira était là, avec un enfant en bas-âge dans une poussette. Elle proposa de m’offrir un café en terrasse que j’acceptai volontiers. Je lui tendis le portefeuille, elle l’ouvrit aussitôt et sortit l’une des cartes qu’elle serra contre sa poitrine. Émue, soulagée, elle ne savait comment me remercier. Ce document lui était nécessaire pour régulariser sa situation. Six mois plus tôt, on lui avait volé son sac, ici même, gare du Nord, et en une fraction de seconde, le sol sous ses pieds s’était écroulé. On resta discuter, l’air était doux.

Je la quittai, heureuse d’avoir fait une heureuse.

Un commentaire

  1. JP dit :

    Incroyable cette histoire ! Tout ce temps pour retrouver la propriétaire de ce portefeuille. Une belle action à retardement ! Jolie nouvelle. Légère et pudique. Merci Karen 🙏

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