Dreux

Cette année-là, je ne suis pas partie en colonie de vacances. Ma mère avait raté la date limite des inscriptions et elle s’en mordait les doigts, car à la veille de l’été, elle ne savait toujours pas à qui me confier. J’avais neuf ans.

De bouche à oreille, elle trouva une famille d’accueil à Dreux ; la tante d’un camarade de classe que je connaissais à peine. En arrivant sur place, je découvris une cité HLM et là-haut dans les étages, un appartement dans lequel vivait un couple avec ses huit enfants. Ils s’étaient arrangés pour me libérer une chambre. On a déballé mes affaires et mère est repartie, sur la promesse de me téléphoner souvent.

La journée, je trompais l’ennui en descendant au pied de l’immeuble avec un ballon que je faisais rebondir sur le béton chauffé par le soleil. Une radio me tenait compagnie ; tournait en boucle « Rockollection » de Laurent Voulzy.

Un soir, le fils aîné âgé de dix-huit ans est venu dans ma chambre. Il était en pyjama, vêtu d’un maillot de corps sans manche et d’un pantalon avec une poche kangourou sur le devant. Il était maigre, d’une peau très blanche et portait de grosses lunettes. Il avait un secret à me dire, il m’a fait jurer d’en parler à personne. C’est étrange, mais je me doutais des mots à venir. Il me trouvait belle, il était amoureux de moi. A cet aveu, ne sachant que répondre, j’ai souri, à la fois gênée et troublée qu’un grand garçon comme lui puisse s’intéresser à moi, puis il a quitté la pièce précipitamment.

Le lendemain, il est revenu, j’étais déjà couchée. Je me suis raidie à son entrée et je l’ai regardé s’asseoir sur le bord de mon lit. Il voulait parler encore, il avait la tête baissée, l’air désolé, puis il s’est levé et tel un fauve qui s’apprête à bondir sur sa proie, tout en me fixant, il a rampé vers moi, laissant apparaître son zizi par l’ouverture de son pyjama. Effrayée, j’ai dit « non », que je ne voulais pas, et il a décampé.

Le silence devint irrespirable tant je redoutais qu’il revienne. Il faisait nuit déjà, je suis sortie de la chambre et j’ai été toquer à la porte de ses sœurs. Leur lampe de chevet était allumée. Elles étaient allongées les unes à côté des autres, à même le sol, dans un fatras de couvertures. J’ai demandé à dormir avec elles, j’ai dit que j’avais peur de rester seule. Elles n’en revenaient pas que je veuille les rejoindre alors que j’avais la chance d’avoir un lit à moi, et puis ça ne les arrangeait pas trop, elles étaient déjà bien serrées, mais elles se sont laissées attendrir et sans plus attendre, je me suis glissée entre deux filles. Au milieu de ces corps tranquilles, comme autant de digues qui me protégeaient, je me suis endormie, apaisée, ainsi que les nuits suivantes, jusqu’à la fin de mon séjour qui fut écourté.

J’ai demandé à ma mère de venir me chercher.

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