La blouse

On quitta Montreuil un jour d’été. Mon beau-père était au volant et j’avais regardé, par la vitre baissée, s’éloigner notre portail derrière lequel s’était déroulée mon enfance. J’étais partie sans tristesse ni joie, plutôt avec une certaine impatience de découvrir ma nouvelle vie qui se poursuivait loin d’ici, dans la région d’Aix-en-Provence.

On emménagea au rez-de-chaussée d’un petit immeuble construit sur un vaste terrain séché par le soleil. Notre appartement était pourvu d’une terrasse ombragée et d’un jardinet qu’il fallait traverser pour atteindre la porte d’entrée.

On m’acheta une mobylette pour aller à l’école, une Peugeot 102 d’occasion particulièrement capricieuse. Je pétais de chaud en équilibre sur la béquille à pédaler dans le vide avant qu’elle ne démarre, puis je parcourais dans un bruit d’abeille le tronçon de la nationale 7 qui menait à la ville.

Mon beau-père trouva rapidement un nouvel emploi, contrairement à ma mère qui avait tant désiré ce ciel bleu. Au chômage en ce lieu isolé, elle souffrit de solitude et lorsque je rentrais le soir, elle avait le visage sombre des regrets.

Au-dessus de chez nous vivait une famille d’origine algérienne. Zohra, la maman, en tablier fleuri et fichu sur la tête, préparait de succulents gâteaux au miel et le père, surnommé Pirate, râblé et moustachu, revenait de temps à autre avec un mouton, annonçant un généreux coucous auquel nous étions conviés dans une ambiance de fête.

Encore au collège, j’avais collé un post-it sur le mur de ma chambre, en face de mon bureau, sur lequel était écrit le chemin à suivre pour entrer à l’école des Arts et Métiers ; le même qu’avait suivi jadis mon beau-père que j’avais pris pour modèle :

2T – 1ère E – Terminale E – Math Sup Techno – Math Spé Techno – ENSAM

Je m’étais fixé un point à l’horizon et ce long couloir pour y parvenir me réconfortait. Je n’avais qu’à avancer, sans me poser de questions, mais en fin de seconde, je me mis à douter de mes capacités, tant et si bien qu’à l’heure d’exprimer mon souhait d’orientation, je m’abstins de cocher la section E. Lors du conseil de classe, mes professeurs, étonnés de mon choix, demandèrent au délégué de me téléphoner. En cet après-midi ensoleillé, la porte que je m’étais fermée s’ouvrit et je m’y engageai, le cœur battant. La première étape étant franchie, j’allai dans ma chambre et décollai le post-it pour y barrer proprement « 2T », puis le remis à sa place, satisfaite. Il y resta longtemps, jusqu’à mon admission en classe préparatoire, biffé ainsi à chaque fin d’année scolaire.

J’étudiais alors au lycée Vauvenargues, justement accolé aux Arts et Métiers, et le midi, je rejoignais le « Crous » où je me retrouvais à côtoyer, dans la file d’attente du réfectoire, des élèves ingénieurs reconnaissables entre tous à leurs longues blouses de couleur grise, ornées d’écritures sibyllines. Au milieu de cette étrange armada que je regardais avec envie, je me sentais toute petite.

Puis vint le jour où j’y déjeunai, avec la mienne sur le dos.

ma biaude

10 commentaires

  1. Mirabeau dit :

    Très surpris d’apprendre que l’ENSAM était un objectif d’enfance. Ta sensibilité est assez décalée de celle de l’école que je croyais à une erreur d’aiguillage… bise en attendant la suite.
    Maxence

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    1. Karen dit :

      Hello Maxence ! Bien vu ! J’ai douté quelques semaines avant le concours, me disant que j’aurais dû suivre une voie plus créative. Si près du but, j’ai été jusqu’au bout puis après les Arts, j’ai passé le concours d’une école de design ENSCI que j’ai brillamment raté. Grosse bise

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  2. Bonsoir Karen. Superbe texte. Je n ai jamais pu lire tout ton récit pré et post classes prépa.
    A bientôt. Bises bretonnes

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    1. Karen dit :

      Hello Jupit ! A quel récit fais-tu référence ? Grosse bise

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  3. Valérie dit :

    Autre faute : on ne dit pas blouse grise ou dit biaude ! 😉
    Je ne savais pas toute cette relation aux Arts….
    merci pour ce partage !

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    1. Karen dit :

      Je ne le savais pas encore avant d’y rentrer ! ;-)

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  4. Claudon Carolina dit :

    J’adore tes récits, ces petits bouts de vie. Merci de partager ça avec nous!

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    1. Karen dit :

      Merci Carolina ! Ton message me fait chaud au cœur. Je suis heureuse que tu lises mes récits et que tu y sois sensible.

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  5. Boutot dit :

    Petite faute repérée : le professeur m’avait fait remarquer, er,
    Bonne suite, bises

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    1. Karen dit :

      Bien vu ! Merci Cécile ;o)

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