Maman

Ma mère est morte un jour d’avril un peu frais. Je l’avais eue au téléphone la veille, elle se sentait fatiguée. C’est son aide-ménagère qui a donné l’alerte :

— Votre mère ne répond pas à l’interphone, j’appelle les pompiers ?

Lorsque je suis arrivée chez elle, ils étaient déjà sur place, interdisant l’accès à son appartement. Je devais attendre, il fallait d’abord qu’intervienne un médecin pour constater son décès. C’est de cette manière que j’ai appris la mort de ma mère. Je n’ai pas pleuré sur le coup, j’espérais surtout qu’elle n’ait pas souffert. Ça me préoccupait beaucoup. Je me suis dit qu’à l’expression de son visage, il serait possible de le deviner. J’ai demandé au jeune pompier qui était en faction devant sa porte. Il m’a regardé avec un drôle d’air, un peu surpris. Il n’a pas su me répondre.

Je me sentais inutile et à l’étroit sur le palier, je suis descendue dans la rue. J’ai trouvé un plot en béton pour m’asseoir. J’ai cherché à joindre mon frère dont le numéro basculait sur messagerie. J’ai fumé des cigarettes en regardant les gens passer. La vie continuait, comme un jour ordinaire, alors que le corps de ma mère reposait à quelques mètres de là. Je suis remontée à l’étage, à attendre encore, puis le médecin et les pompiers sont sortis de l’appartement en un défilé silencieux, disparaissant les uns après les autres, me laissant seule devant la porte entrouverte.

Je suis entrée. Ma mère était sur son lit. Ils l’avaient allongée sur le ventre, la tête tournée vers le centre de la pièce, les yeux fermés. Je me suis approchée, je me suis assise à ses côtés, je lui ai pris la main. Je lui ai caressé les cheveux, comme elle aurait aimé que je le fasse de son vivant. Je lui ai parlé aussi, des mots de réconfort, pour apaiser son âme au cas où elle m’entendrait.

Puis deux hommes habillés en noir sont arrivés pour l’emmener au funérarium. Ils l’ont manipulée avec des gestes lents et doux. Ma mère aurait apprécié, elle avait tant souffert physiquement que ces derniers temps, on pouvait à peine la toucher, affaiblie par une sévère dépression qui, sur vingt longues années, lui avait ôté l’envie de manger puis de respirer ; elle était branchée nuit et jour à une machine à oxygène. Elle ne l’éteignait que pour fumer une cigarette en buvant un verre de rosé avec un anxiolytique. Le corps creusé, les poumons ratatinés, tout en elle signifiait qu’elle voulait disparaître de la surface de la terre, mais elle avait lutté, la mort lui faisait très peur.

Extrait du roman « Embrasse tes petits pour moi »

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